Après sa distinction à la soirée "Les Sublimes du tourisme", ce pionnier du tourisme lagunaire raconte son histoire avec la mythique île.
M. Benoît Kamena Brown, quel regard portez-vous sur l’île Boulay ; ce n’est plus l’île Boulay de votre époque ?
Non. L’île Boulay est une grande île de 2000 hectares. Aujourd’hui, je lui ai donné un nom : Baie des milliardaires, pour léguer une certaine valeur au secteur touristique. Cela a effectivement pris, tout le monde dit, Baie des milliardaires. Je suis fier des jeunes ivoiriens qui y ont beaucoup investi. On y trouve des restaurants et des hôtels formidables. C’est un bon développement que je salue et que j’encourage. Je trouve que cela a donné une grande valeur à la destination île Boulay.
A l’occasion de la soirée de distinction, dénommée « Les Sublimes du Tourisme », qui fête l’excellence dans le secteur du tourisme en Côte d’Ivoire, vous avez reçu le prix spécial « Pionnier de l’hôtellerie » !
Cette soirée a été un coup réussi pour le ministre du Tourisme et des Loisirs Siandou Fofana. Bravo à l’État de Côte d’Ivoire. Je tiens à remercier le Chef de l’État avec qui nous avons eu un dîner à l’époque, chez l’ambassadeur des États-Unis. C’était la première fois que je le rencontrais. Je félicite le Président Alassane Ouattara pour le travail de développement de notre pays. Je souhaite qu’il ait une bonne santé pour continuer avec toutes nos prières. Je remercie également son gouvernement. Je suis très heureux du développement de la Côte d’Ivoire, bravo !
Vous êtes vraiment l’un des pionniers de ce secteur ?
J’ai été depuis toujours membre de la Fédération du tourisme et de l’hôtellerie en Côte d’Ivoire. J’ai été le vice-président. J’ai occupé plusieurs postes dans cette structure. Nous avons fait plusieurs sorties au niveau des États-Unis avec elle. Nous avons été invités à la foire de Los Angeles, organisée par la mairie de cette ville. A cette époque, je suis parti avec 60 personnes. Nous avons participé au moins trois fois à cette foire. Cela a permis d’établir des relations entre la Californie et la Côte d’Ivoire.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Bientôt, je ferai Brownville. Une ville touristique qui va s’ajouter à la Baie des Milliardaires pour donner plus de poids à ce qui existe déjà. Je compte sur le ministre de la Construction pour l’obtention de mon Acd pour commencer les travaux de construction de mon nouveau site. L’ancien site, Eden city, que j’avais acquis, a été rasé pour l’extension du port autonome d’Abidjan, sous Gbagbo. Les négociations n’avaient pas abouti lorsque la crise est survenue. Je n’ai pas été dédommagé comme il fallait. J’ai été le plus grand perdant de cette installation du port d’Abidjan.
Vous étiez étudiant aux Etats-Unis quand Houphouët-Boigny vous a demandé de rentrer en Côte d’Ivoire. Vous avez occupé à l’époque un poste de chef de cabinet d’un ministre. Vous auriez pu faire la politique. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller à l’île Boulay sur un terrain non défriché ?
Avec mon expérience aux États-Unis, j’avais déjà une idée derrière la tête. Je suis allé comme étudiant non boursier aux États-Unis, j’y ai fait des études, mais mon désir était de venir faire des affaires dans mon pays. Ce n’était pas réellement pour venir travailler dans l’administration. Nous étions des cadres, et la branche que j’ai choisie était très importante. Mes études ont porté sur le secteur portuaire. J’ai fait Transport management. Cela veut dire que je pouvais gérer le port, et tout ce qui est société de transport. A la fin de mes études, quand Houphouët m’a demandé de revenir au pays, il avait voulu que je sois chef de cabinet du ministre Lamine Fadiga, qui s’occupait du port. On m’avait même proposé d’être le directeur des affaires portuaires. Charles Gomis qui était à la Sitram à l’époque a voulu que je vienne travailler avec lui... Houphouët s’est rappelé que je souhaitais faire autre chose. Il m’a alors demandé ce que je voulais faire. C’est ainsi que je lui ai dit que je veux développer l’île Boulay.
Quelle a été sa réaction ?
Il m’a dit : « quand tes amis reviennent des études, ils souhaitent avoir un poste, et tu veux aller te fatiguer dans les moustiques à l’île Boulay, où il n’y a rien... » Je lui ai répondu, « papa, c’est ce que je veux faire ». Malgré son insistance, je suis resté sur ma position. Il a donc décidé de m’aider. C’est ainsi qu’en 1975, le Président Houphouët m’a aidé à m’installer sur l’île Boulay, et c’est Alexis Thierry Lébé, ministre de la Construction à cette époque, qui m’a permis d’obtenir 50 hectares sur l’île à la demande d’Houphouët-Boigny. Voilà comment je suis entré dans les affaires avec l’aide du père fondateur de la nation ivoirienne.
Combien vous a-t-il donné pour vous installer ?
Houphouët m’a donné 50 millions. C’était beaucoup. Mais en me remettant cette somme, il m’a dit de ne pas fermer la porte aux autres. Cela voulait dire qu’il attendait de moi un résultat après la somme qu’il m’a remise. L’argent a été bien utilisé. J’ai fait connaître l’île Boulay sur le plan national et international. J’ai développé l’île, et après, il m’a fait décorer le 11 février 1992 chevalier de l’ordre du mérite ivoirien.
A l’époque, l’État s’appuyait, pour le développement de la Côte d’Ivoire, sur l’agriculture. Comment avez-vous fait pour réussir dans le domaine du tourisme ?
A cette époque, le tourisme avait commencé à prendre de la valeur, nous voulions le développer, il fallait des gens comme nous pour actionner cela. C’est moi qui ai développé le tourisme lagunaire. Dans le passé, il n’y avait pas de transport lagunaire, les bateaux bus, etc., pour aller à l’île Boulay. Je prenais les pinasses pour transporter les touristes, de l’Hôtel Ivoire jusqu’à chez moi. Ils étaient heureux. Quand la Sotra a commencé le trafic, elle a mis à disposition des bus touristiques, j’ai proposé à la société qu’on travaille ensemble, pour développer le tourisme lagunaire. Ce qui a été fait. Nous prenions les gens d’Abidjan jusqu’à mon complexe touristique et cela marchait très bien.
Houphouët vous faisait confiance, il a démis un ministre du Tourisme de ses fonctions parce qu’il voulait attribuer votre site à un Européen. Que s’est-il passé exactement?
Le ministre voulait s’associer avec moi pour développer l’île Boulay. Je pensais qu’il allait mettre à disposition les moyens financiers. Mais non ! Il voulait juste envoyer les touristes et avoir 50% de mon affaire. Nous sommes allés chez le notaire, et j’ai refusé. Il n’a pas apprécié, il avait de vieux colons avec lui qui voulaient aussi le site de l’île Boulay. Je ne savais pas que de nombreuses personnes voulaient aussi ce site.
La suite ?
Après, ils m’ont mis en faillite, « selon eux », de manière frauduleuse, et ils m’ont mis dehors pour prendre mon affaire. J’ai informé Houphouët, et nous avons eu près de six séances de travail à la Présidence, avec le ministre de la Justice Camille Alliali. C’est là que nous avons découvert que le ministre voulait m’écarter et mettre un Européen à ma place. Le Président Houphouët n’a pas accepté cela... Il a donné 24 heures pour que je sois réinstallé... la suite, deux mois plus tard, il a été démis de ses fonctions. Je ne sais pas si c’est à cause de moi mais les gens pensent que c’est à cause de cette affaire.
Vous devriez être tout puissant à l’époque... Entrer aussi facilement chez Houphouët ?
Houphouët me prenait comme son fils parce que c’est lui qui m’a fait revenir, et il voulait que je réussisse. Il me suivait de près. Quand le père te suit de près, il ne veut pas que tu aies des problèmes. Il a dit à Camille Alliali qu’il ne voudrait plus entendre que j’avais des problèmes.
A l’île Boulay, vous avez reçu de hautes personnalités comme le sénateur américain Jessie Jackson. C’était un site touristique de haut standing ?
Bien sûr que c’est un grand site touristique. A cet endroit, j’ai reçu plus que Jessie Jackson. J’ai reçu aussi le grand fortuné américain, Rockefeller David. J’ai reçu Giscard d’Estaing, à l’île Boulay, ainsi que d’autres personnalités... Jonas Savimbi, un ministre français. Beaucoup de monde... Des artistes comme Myriam Makéba.
Vous aurez pu être Américain, la nationalité de votre épouse. Peut-être aussi Ghanéen de par votre père...
Je suis Akan des deux côtés, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Ma mère Ivoirienne est Akan, c’est le matriarcat chez nous. Donc je suis plus attaché à ma mère qui est originaire d’Ebounou (Grand-Lahou) où je suis né. Pas dans un hôpital, mais dans le village, mis au monde par ma grand-mère. Je suis donc attaché à ma terre maternelle. Certains me disent que je suis Ghanéen. Je le suis, je ne refuse pas. Mais je suis plus Ivoirien. Américain, oui d’accord, mais l’idée ne m’a jamais effleuré de vivre aux États-Unis. J’ai épousé une Américaine qui a enseigné 5 ans à l’université Félix Houphouët-Boigny, mais je n’ai jamais demandé la nationalité. J’ai préféré rester ce que je suis. Chaque fois que je veux aller aux États-Unis, j’obtiens un visa valable pour 10 ans. Avec cet avantage, quel intérêt j’ai à devenir Américain. J’aime bien être Ivoirien (rires).
Vous avez un ami très proche, Georges Taï Benson, quelle est l’histoire de cette amitié ?
Georges Benson est apollonien de Grand- Lahou. Nous avons fait le collège du Plateau et le lycée classique. Quand il était animateur, nous avons eu à faire ensemble de grands évènements. Nous avons fait venir le groupe Kool & the Gang. Nous avons organisé de grands concerts au stade Houphouët-Boigny et à l’Hôtel Ivoire. Nous avons fait venir LL Cool J, en grand concert, cela nous a vraiment unis. Il était à côté du Président Houphouët-Boigny, et c’est lui qui facilitait mes rendez-vous. Avec Bédié également. Il a joué un grand rôle dans tout ce que j’ai pu faire.
Interview réalisée par Marie-Adèle Djidjé
Le 08/02/24 à 14:51
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